La rose de novembre
Il n'est plus belle fleur qu'une rose d'automne,
Quand elle sait déjà que ses jours sont comptés,
Et que près de sa fin, généreuse, elle donne
Encor plus de parfum qu'aux beaux jours de l'été.
Dans le brouillard léger d'une aube de novembre
Alors que les oiseaux ne savent plus chanter,
Elle va défroisser sa robe d'or et d'ambre
Pour s'offrir aux regards dans toute sa beauté.
Mais un souffle de vent la blesse, la défeuille.
Sitôt qu'il a séché ses larmes de rosée,
Elle cache ses joues dans son écrin de feuilles
Pour vivre encor un peu, encor une journée.
Ô toi qui ne sais pas combien est éphémère
La rose qui s'endort et va vers son trépas,
Si tu passes près d'elle au jardin de ta mère,
Je t'en supplie, enfant, non, ne la cueille pas.
Laisse la retenir la vie qui l'abandonne,
Suivre des vols d'oiseaux glissant dans le ciel clair.
Il n'est plus belle fleur qu'une rose d'automne,
Qui se meurt doucement, aux premiers jours d'hiver.
Renée Jeanne Mignard
Le vent
Sur la bruyère longue infiniment,
Voici le vent cornant Novembre ;
Sur la bruyère, infiniment,
Voici le vent
Qui se déchire et se démembre,
En souffles lourds, battant les bourgs ;
Voici le vent,
Le vent sauvage de Novembre.
Aux puits des fermes,
Les seaux de fer et les poulies
Grincent ;
Aux citernes des fermes.
Les seaux et les poulies
Grincent et crient
Toute la mort, dans leurs mélancolies.
Le vent rafle, le long de l'eau,
Les feuilles mortes des bouleaux,
Le vent sauvage de Novembre ;
Le vent mord, dans les branches,
Des nids d'oiseaux ;
Le vent râpe du fer
Et peigne, au loin, les avalanches,
Rageusement du vieil hiver,
Rageusement, le vent,
Le vent sauvage de Novembre.
Dans les étables lamentables,
Les lucarnes rapiécées
Ballottent leurs loques falotes
De vitres et de papier.
- Le vent sauvage de Novembre ! -
Sur sa butte de gazon bistre,
De bas en haut, à travers airs,
De haut en bas, à coups d'éclairs,
Le moulin noir fauche, sinistre,
Le moulin noir fauche le vent,
Le vent,
Le vent sauvage de Novembre.
Les vieux chaumes, à cropetons,
Autour de leurs clochers d'église.
Sont ébranlés sur leurs bâtons ;
Les vieux chaumes et leurs auvents
Claquent au vent,
Au vent sauvage de Novembre.
Les croix du cimetière étroit,
Les bras des morts que sont ces croix,
Tombent, comme un grand vol,
Rabattu noir, contre le sol.
Le vent sauvage de Novembre,
Le vent,
L'avez-vous rencontré le vent,
Au carrefour des trois cents routes,
Criant de froid, soufflant d'ahan,
L'avez-vous rencontré le vent,
Celui des peurs et des déroutes ;
L'avez-vous vu, cette nuit-là,
Quand il jeta la lune à bas,
Et que, n'en pouvant plus,
Tous les villages vermoulus
Criaient, comme des bêtes,
Sous la tempête ?
Sur la bruyère, infiniment,
Voici le vent hurlant,
Voici le vent cornant Novembre.
EMILE VERHAEREN